La première étape est déjà bien amorcée et j'espère sincèrement que vous trouvez du beau et du doux dans chaque journée.
Peut-être que, comme moi, vous sentez un petit - énorme! - vent de panique devant le mur de la fin de la première étape et l'obligation d'évaluer nos élèves à travers les aléas des cours virtuels, des absences prolongées et des multiples autres obstacles à un enseignement régulier et planifié. Cette première étape est courte, intense et particulièrement chamboulée cette année. Elle devrait servir à égaliser les savoirs des élèves, à créer une routine sécurisante et un lien favorisant l'engagement et la motivation.
Mais bon. Les exigences sont tout autres pour le moment. Et notre cerveau étant enclin à s'inquiéter, énumérons quelques raisons de paniquer :
Comment vais-je évaluer mes élèves absents? Où trouverai-je le temps de leur faire reprendre leurs évaluations?
Je n'aurai pas assez de traces. Les élèves ont manqué plusieurs cours et n'ont pas pu se préparer adéquatement aux évaluations.
J'ai passé trop de temps à reprendre des notions escamotées lors du confinement du printemps dernier.
J'ai dû décaler ma planification que j'ajuste sans cesse et je n'arrive pas à avoir une ligne directrice comme les années passées.
Je n'ai pas eu accès au matériel à temps et j'ai pris du retard.
Mes cours virtuels ne se sont pas déroulés comme prévu, donc j'ai l'impression d'avoir perdu un temps précieux.
J'ai peur que mes élèves basculent en virtuel et de ne pas être prêt(e) à leur enseigner ou à les évaluer.
Je perds une foule de temps à déposer des fichiers sur la plateforme virtuelle et à répondre aux questions techniques des élèves.
Les élèves sont anxieux, craintifs et peu concentrés. Et moi donc.
Bon. Ceci étant dit, rationnalisons.
Gardons en tête qu'autant que nous, les élèves vivent un stress permanent. La situation à l'école est exceptionnelle, mais aussi dans leur - et notre - vie personnelle et familiale. Ça tourbillonne pour tout le monde. Sauf que si on creuse un peu - beaucoup! - l'incertitude et l'instabilité que génèrent la situation précaire et les consignes sens dessus dessous, on peut arriver à trouver un petit trésor : celui de la chance de s'offrir un changement de pratique.
Puisque la routine nous amène à être confortable dans nos pratiques et à les renforcer, pourquoi ne pas profiter de l'instabilité pour alléger notre tâche, augmenter l'efficacité et la cohérence de nos pratique avec nos valeurs? Certains diront que ce n'est pas le moment, qu'on a assez à gérer. En effet, le but n'est pas d'entamer des projets qui useraient la rare et précieuse énergie dont on dispose. L'intention, ici, c'est de réévaluer le rôle de l'évaluation pour diminuer la charge mentale et le stress qui incombent à tous ceux qui pourraient peut-être lui accorder moins d'importance et celle, plus appropriée, qui lui revient.
Ce tourbillon nous obligera, d'une façon ou d'une autre, à revoir nos pratiques. Voyons ça comme une opportunité inespérée pour entamer une réflexion sur le rôle de l'évaluation traditionnelle et sur la pertinence du jugement professionnel. Certes, il est rassurant de disposer de nombres, de calculs et de pourcentages pour appuyer notre jugement. Cependant, avouons qu'on a tendance à accorder une considération sécurisante indue aux évaluations strictes et chiffrées.
Revoir le rôle de l'évaluation
Combien de fois devons-nous répondre aux abominables questions "est-ce que ça compte?" ou "ça compte pour combien?"? Trop souvent, et ça nous déplait chaque fois. Cependant, ça traduit très clairement la culture qui est véhiculée autour des évaluations. Les élèves accordent une importance démesurée à ce type de tâche et se désengagent souvent des tâches qui ne "comptent" pas. Honnêtement, je ferais pareil à leur place. Sans parler de l'immense stress qui les envahit à ces moments cruciaux.
Par ailleurs, nous sommes plusieurs enseignants à trouver déplorable que des élèves s'accrochent au chiffre de la note plutôt qu'aux commentaires qu'on prend tant de temps à écrire pour leur offrir de la rétroaction. C'est paradoxal, puisqu'on accorde nous-mêmes trop souvent une valeur disproportionnée aux notes tirées des évaluations formelles qui sont souvent l'unique source considérée lors de l'élaboration du bulletin. Les élèves ne sont pas dupes; ils connaissent le savant calcul de la note x le pourcentage accordé à l'évaluation dans une étape. Ils savent que les enseignants se fient aux évaluations les plus importantes pour comptabiliser la note du bulletin. Ils réservent donc leur énergie là où ça compte. Qui ne le ferait pas?
Évaluer, c'est vérifier les acquis de ce qu'on a enseigné, quand on sent que les élèves sont prêts à le démontrer. Inutile de les brusquer, même si le temps nous rattrape. Oups. Déjà là, on a une auto-régulation à faire. Une évaluation, ce doit être une prise de mesure d'une compétence à un moment donné, dans un contexte donné. C'est une photo, une captation d'une performance à un moment précis, qui n'est absolument pas représentative de l'ensemble des acquis d'un élève dans une compétence donnée. Si un élève n'est pas dans une disposition optimale pour réaliser son évaluation - stress, sommeil, réalité personnelle ou familiale, type d'évaluation, formulation ou compréhension des questions -, cette dernière porte préjudice à l'interprétation de sa réussite. Il est donc particulièrement désolant qu'une évaluation unique d'une compétence puisse servir de baromètre pour chiffrer l'acquisition d'une compétence! Que celui ou celle qui performe à chacun des cours qu'il enseigne me lance la première pierre!
Ce qu'en dit la Politique d'évaluation des apprentissages du Ministère de l'éducation
Selon le document officiel du Ministère, voici la définition de l'évaluation :
Évaluer est un processus complexe qui se fonde en grande partie sur le jugement professionnel de l’enseignant. Il est nécessaire que ce jugement soit balisé afin d’assurer la crédibilité des actions d’évaluation. La planification permet d’établir l’intention d’évaluation et ensuite de choisir les objets, les moments et les méthodes d’évaluation. La prise d’information consiste à recueillir des données suffisantes et pertinentes sur les apprentissages de l’élève et à leur donner un sens en les interprétant. Ensuite, on compare les données sur les apprentissages de l’élève avec ce qui est attendu : c’est l’interprétation critérielle. Quant à l’étape de jugement, elle amène l’enseignant à se prononcer sur la progression de l’élève et sur le développement des compétences. (p.4)
L’évaluation ne constitue pas une fin en soi. L’élève n’apprend pas pour être évalué; il est évalué pour mieux apprendre. L’évaluation s’ajoute à l’ensemble des moyens utilisés pour soutenir l’élève dans ses apprentissages. Intégrer l’évaluation à la dynamique de l’apprentissage permet à l’enseignant de recueillir régulièrement des données sur les apprentissages en vue d’intervenir rapidement et efficacement et elle permet à l’élève de s’ajuster en cours de formation. En raison des possibilités de rétroaction et d’ajustement en cours d’apprentissage, l’évaluation représente un excellent moyen pour amener les élèves à la réussite. (p.4)
La bienveillance du jugement professionnel
Chaque enseignant est un professionnel dont le jugement quant à l'apprentissage de ses élèves est aussi, sinon plus valable et crédible, que les résultats des évaluations qu'il met en place. Il est primordial que nous retournions à l'essentiel, soit à l'apprentissage et à la progression, dans le message qu'on envoie à nos élèves. Il faut amorcer un changement de culture chez les équipes d'enseignants, les parents, les élèves par rapport à la perception de l'importance de l'évaluation. Pour y arriver, un changement de pratique est nécessaire et urgent, tout comme un changement dans le discours entourant les évaluations, particulièrement auprès de nos élèves.
Interrogeons-nous et modulons les notes par rapport aux observations qu'on peut tirer de plusieurs aspects :
la capacité d'un élève par rapport aux attentes et à la progression des apprentissages pour ce niveau;
la progression du développement des compétences;
la fréquence du besoin de soutien, d'aide ou de validation lors d'une tâche;
l'utilisation et la pertinence des stratégies;
la prise en considération de la rétroaction dans les travaux subséquents;
la participation et la qualité des échanges;
l'engagement lors des tâches.
Il est possible, judicieux et pertinent de mettre en place des activités, des tâches ou des projets diversifiés qui permettent aux élèves de mettre en valeur les compétences et les connaissances acquises, que ce soit sur papier, à l'oral, en individuel, en dyade, en groupe, en entretien. Au besoin, il est toujours utile de rencontrer des élèves pour valider ses observations.
Accordons plus de crédit aux apprentissages en classe et dans notre discours. Créons un réel engouement autour des projets que nous avons conçus avec passion. Servons-nous de chaque parcelle d'observation qui nous est donnée de constater pour étayer notre jugement. Discutons de rétroaction, de progrès, de bons coups et minimisons l'attention accordée aux évaluations formelles afin de diminuer le stress chez les élèves. Abordons et considérons, dans une proportion qui nous semble juste, l'auto-évaluation. Misons sur la rétroaction régulière et constructive pour donner un sens aux évaluations plus formelles.
Je nous souhaite de nous entourer de bienveillance pour nous-mêmes, notre équipe et nos élèves. Ne changeons pas tout, mais prenons conscience que l'évaluation n'est pas la seule trace qu'on peut considérer pour noter le progrès dans une compétence. Enlevons-nous cette pression, et, par la même occasion, rassurons nos élèves et leurs parents. Il sera ainsi plus facile d'arriver à jongler avec les absences, les cours virtuels et les retards et peut-être - PEUT-ÊTRE - que l'année semblera moins ardue et moi chaotique que la précédente. Diminuons ce stress inutile et amorçons ensemble cette précieuse réflexion collective.
En attendant, profitons de chaque précieux moment partagé avec nos élèves en classe pour offrir sans limite le goût d'apprendre, motiver, créer un lien et accrocher les élèves à l'école. Ça démontre, à mon avis, une plus grande réussite qu'une bonne moyenne au bulletin.
Références :
Comments