Dans un précédent billet, je dénonçais le complot de la théorie, ou le fait d'évaluer sans réellement enseigner. J'estime en effet que pour évaluer une compétence, on doit être en mesure d'apprendre aux élèves des notions, oui, mais aussi des stratégies. Je suis aussi persuadée que l'apprentissage doit passer par des activités signifiantes, diversifiées et plaisantes. En effet, nous savons tous que la motivation joue un rôle primordial dans la qualité des apprentissages des élèves, mais surtout dans l'engagement, la rétention et le transfert des compétences acquises.
Il va donc sans dire que l'exploration de la littérature jeunesse, avec toutes les merveilles qu'elle contient, constitue une ressource riche et précieuse pour tous les enseignants. Avec les enfants, on ne se pose même pas la question : la littérature jeunesse a la cote depuis plusieurs années. Et quelle diversité on y trouve! Elle nous transporte dans des univers colorés, créatifs et touchants, et plusieurs enseignants judicieux y consacrent beaucoup de temps en classe. L'offre qu'on retrouve aujourd'hui est telle qu'elle convient aisément à tous les goûts, à tous les âges et traite d'une panoplie de sujets pertinents et intéressants. Mais qu'en est-il pour les élèves du secondaire? Est-ce trop enfantin? Trop "facile"?
D'abord, selon mes connaissances, la littérature jeunesse occupe deux pôles importants. D'abord, il existe des albums jeunesse illustrés, ou des romans graphiques, dans lesquels l'auteur ou l'auteure travaille de concert avec un illustrateur ou une illustratrice pour créer une oeuvre complète. Ensuite, il y a tous les romans qui sont écrits précisément pour les jeunes, selon une catégorie d'âge. Des maisons d'édition dédient des collections spécifiques au jeune et moins jeune public et des auteur(e)s se consacrent à une écriture adaptée à la réalité des jeunes à différents stades de leur vie.
Longtemps, l'élite littéraire a considéré l'image dans la littérature comme une béquille, et les récits imagés, comme de la littérature - non, de la LECTURE - "populaire" inintéressante. Ainsi, les bandes dessinées, les romans graphiques ou photos et les documentaires ont été boudés parce qu'on ne considérait pas ces oeuvres comme faisant partie de la "vraie" littérature. Comme si l'image n'ajoutait rien à l'oeuvre! Désormais, bon nombre d'adeptes de la littérature sous toutes ses formes considèrent la précision, la justesse et l'intelligence derrière le choix des images, des photos ou des illustrations choisies comme de riches tremplins qui propulsent le propos des oeuvres illustrées. Il serait donc contre-intuitif de priver nos grands élèves d'accéder à tout l'éventail de la littérature jeunesse. Voici, pour se les rappeler, certaines activités à réaliser pour explorer les fantastiques oeuvres littéraires jeunesse en classe.
Diversifier l'offre pour apprendre à se connaître comme lecteur
Permettre aux élèves de s'intéresser librement et volontairement à diverses formes de littérature est primordial pour investir dans la vie du lecteur à long terme. Il est important que les élèves aient accès à une grande variété d'oeuvres littéraires : romans, documentaires, biographies, poésie, bandes dessinées et mangas, albums ou romans graphiques. Chaque élève doit être au fait de ses préférences et pour ce faire, il doit connaître différents auteurs, différentes formes et différents genres littéraires, traités de façons diversifiées, afin de se créer un profil individuel de lecteur. Cette connaissance de soi permet au lecteur d'anticiper ses prochaines lectures avec plaisir - et donc de lire plus souvent! -, de développer son esprit critique, d'ouvrir consciemment sa curiosité à des univers moins connus et de connaitre ses forces et ses défis afin de faire des choix adaptés à sa réalité. L'exploration des oeuvres jeunesse détient un grand avantage pour tous les lecteurs, mais particulièrement pour les lecteurs moins engagés ou en difficulté : les thèmes et les styles sont multiples, les récits sont courts et adaptés, les images rendent la lecture plus vivante et offrent un soutien à la compréhension et à l'interprétation. Sans compter, encore une fois, la longueur du récit qui peut être profitable pour les lecteurs à défis qui n'ont que rarement lu un livre d'une couverture à l'autre. Pourquoi ne pas commencer par des défis réalistes pour vivre de grandes réussites et prendre conscience de sa capacité à progresser?
Stratégies
Grâce aux albums et aux courts romans, il est intéressant de modéliser les stratégies de lecture au cours d'une lecture interactive ou à voix haute. On sait que l'apprentissage par l'exemple est efficace, mais on oublie parfois qu'il demeure pertinent, au secondaire, de démontrer la compétence à lire. Le fait d'offrir aux élèves d'accéder à notre réflexion de lecteur-expert leur permet de constater à quel moment il faut utiliser les stratégies connues et comment les utiliser adéquatement. Grâce au format plus bref de l'oeuvre jeunesse, il devient possible d'intégrer ce genre d'exercice en cours de période et d'y consacrer une partie ou un cours complet. De plus, comme la lecture est plus courte, il est plus aisé de répéter l'expérience fréquemment et d'aider les élèves à transférer les connaissances lors d'une mise en action subséquente dans un temps rapproché.
Entretiens
Plusieurs enseignants, dès le début de l'année, s'intéressent à la fluidité, à l'exactitude et à la précision de la lecture chez les jeunes élèves. C'est une donnée intéressante pour connaître le profil de lecteurs d'un groupe, à condition, évidemment, que ce soit en vue d'adapter ses interventions. Cependant, outre les notions révisées et les tâches ou les projets offerts à tous pour aider le développement de la compétence à lire, il peut s'avérer difficile de déterminer quelles pratiques mettre en place pour soutenir les élèves qui auraient besoin de plus d'interventions ciblées. L'entretien est un moment propice pour connaître les difficultés réelles des élèves et avoir accès à la métacognition de ceux-ci pour parvenir à leur proposer un suivi plus personnalisé. Je sais que c'est bien joli dans un billet, mais qu'il en est tout autrement quand vient le temps d'intégrer cette pratique à sa planification. Une façon simple d'y arriver, c'est de l'insérer lors des périodes de lecture, soit en début de cours ou pendant une période complète. Il n'est pas nécessaire de voir tous les élèves en difficulté la même journée; l'essentiel, c'est de réguler plus fréquemment les stratégies de certains élèves pour favoriser la progression dans leurs apprentissages.
Thèmes, sujets chauds et réseaux littéraires
L'offre est de plus en plus grande en ce qui concerne la littérature jeunesse et jeune adulte. Au secondaire, les élèves sont plus aptes à explorer des oeuvres complexes, classiques ou qui traitent d'un sujet délicat. J'aime beaucoup regrouper en réseaux littéraires certaines oeuvres pour les mettre entre les mains de mes élèves afin de leur permettre d'explorer les différents angles de traitement, le style, le ton et tous les autres choix que font les auteurs à propos d'un même sujet.
La collecton Griff, parue chez Isatis, propose des romans graphiques d'une exquise pertinence pour soulever la réflexion des élèves par rapport à des sujets importants et nécessaires. Cette collection est principalement destinée aux élèves plus vieux, qui pourront s'engager consciemment dans la réflexion que nécessitent les sujets abordés.
Voici, pour le plaisir, quelques idées de réseaux littéraires simples à rassembler :
Un réseau littéraire sur un auteur québécois, comme Michel Tremblay ou Simon Boulerice;
Un réseau sur les dystopies, les contes ou les récits policiers;
Un réseau explorant des oeuvres du 19e siècle;
Un réseau explorant des classiques québécois et français pour faciliter la transition vers le cégep;
Un réseau sur la poésie ou sur le théâtre;
Un réseau sur la littérature engagée;
Un réseau sur la littérature internationale.
Les bibliothécaires des centres de services sont très enclins à proposer des réseaux en fonction du thème et de l'âge des élèves. Plusieurs trousses sont généralement déjà prêtes et disponibles pour des prêts. C'est donc beaucoup plus accessible qu'on ne l'imagine, surtout si on part de zéro pour intégrer cette pratique en classe.
Étudier la phrase et la grammaire
Les pratiques en lecture peuvent être diversifiées et toutes très enrichissantes. Il faut garder en tête que chaque oeuvre regorge de stratégies et que la lecture est un prétexte à une foule d'apprentissages. Encore une fois, plus l'apprentissage est réalisé dans le plaisir et dans des contextes signifiants et fréquents, plus grande en sera l'acquisition. La littérature devient donc un outil puissant pour l'étude de la phrase et de la grammaire, puisqu'elle constitue l'issue même de ce pourquoi on doit apprendre le code : communiquer efficacement une idée en mots et en phrases. On peut donc, à travers le style et les idées, amener l'élève à repérer les types de phrases, les constituants, les constructions particulières, ainsi qu'une infinie variété de règles de grammaire. Il va sans dire que c'est aussi une source intarissable de possibilités pour travailler le vocabulaire, les champs lexicaux et les figures de style.
Pour conclure, OUI, il faut intégrer la littérature jeunesse dans notre enseignement du français au secondaire. Il suffit de s'ouvrir aux pratiques et de prendre le temps de faire des essais. Si vous lisez peu de littérature jeunesse, surfez à travers les différents blogues littéraires; ils vous donneront à coup sûr le goût de vous lancer dans cet univers magique. Par ailleurs, plusieurs auteur(e)s jeunesse sont disponibles pour venir visiter les classes et leur parler de leur travail d'écriture. Qui de mieux placé pour répondre à la fameuse - détestable, mais légitime - question "À quoi ça va nous servir, plus tard, d'être bon en français?"?
Quelles sont vos pratiques gagnantes? N'hésitez pas à les partager!
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