top of page
Christine

Gestion de classe : la coercition est-elle réellement signe d'autorité?

L'acte d'enseigner est complexe et multiple. Même si les enseignants arrivent - sont catapultés - dans une classe pourtant riches de quatre années d'études et de stages, tous constatent que la réalité n'a rien à voir avec ce qui avait été énoncé dans les livres et les études de cas. En effet, plusieurs ouvrages abordent la gestion de classe et proposent des idées positives et bienveillantes pour enseigner dans un climat calme, accueillant et sécurisant. Mais est-ce toujours aussi simple? Compte tenu des classes inclusives, est-ce réaliste? Est-il possible que, dans certains cas, que la coercition soit la seule solution?


NOTE : encore une fois, l'intention de ce billet est la réflexion, pas le jugement des pratiques d'autrui. À défaut d'avoir accès à une formation continue pertinente, il demeure indispensable de réfléchir à nos pratiques afin de les évaluer et les ajuster au besoin. Personnellement, il m'arrive régulièrement d'avoir besoin de nouvelles idées pour venir à bout d'une difficulté ou pour répondre à un besoin qui me donne l'impression d'être dépassée. Suis-je la seule?


Gestion de classe et gestion des comportements

Ces concepts ne sont pas simples à résumer. Est-il important de les distinguer? Je pense que oui, pour le bien de la réflexion à venir. À mon sens, la gestion de classe concerne l'ensemble des actions mises en place par l'enseignant(e) afin d'assurer un climat respectueux et propice à l'apprentissage dans sa classe. C'est par une préparation et une organisation adéquates, un ajustement constant de ses consignes, de ses interventions et des activités d'enseignement que l'enseignant(e) arrive à faire progresser ses élèves ensemble à travers les interactions, les difficultés et les transitions. Ce doit être fait en manifestant clairement ses attentes, en agissant de façon claire et suffisamment prévisible pour que la classe soit un endroit sécuritaire et apaisant. La gestion de classe est préventive et doit être régulièrement actualisée en fonction du pouls de la classe. C'est le regard constant que l'enseignant(e) jette sur l'ensemble du groupe pour s'assurer que chaque élève sait comment s'y comporter pour réussir et répondre aux attentes tout en respectant ses limites et les limites des autres. La gestion des comportements, quant à elle, m'apparaît être une des sphères de la gestion de classe, à la fois distincte et liée aux pratiques pédagogiques. Elle concerne la gestion des comportements inappropriés : passifs, agressifs, provocateurs, dangereux, notamment. Il s'agit donc des stratégies que doit mettre de l'avant un(e) enseignant(e) après qu'un élève a fait le choix de déroger du cadre établi. D'une façon ou d'une autre, la compétence en gestion de classe et en gestion de comportements est déterminée par plusieurs facteurs changeants, inhérents à l'enseignant, à la dynamique d'un groupe ou à certains élèves en particulier.


Voyons maintenant ce qu'on dit du côté de la recherche.


Selon le modèle théorique de Lessard et Schmidt (2008), voici ce qu'est la gestion de classe :

Au cœur du modèle se retrouvent les valeurs. Ces valeurs influencent toutes les actions et décisions de l’enseignant, notamment sur le plan des quatre éléments qui lui permettent de structurer son enseignement, soit l’organisation, l’observation systématique, la communication et collaboration et finalement, l’analyse réflexive. L’enseignement consiste à l’élaboration de démarches pédagogiques, mais un enseignant efficace se préoccupe aussi de soutenir une diversité de démarches d’apprentissage chez les individus apprenants et de voir à ce que les besoins des élèves sur le plan socioaffectif soient comblés en établissant une relation harmonieuse avec chaque élève et en maintenant un système disciplinaire cohérent qui permet d’établir un climat propice à l’apprentissage.


Voici la définition de la gestion des comportements selon Bissonnette et Gauthier (2016) :

Gérer efficacement les comportements des élèves, c’est : « utiliser un ensemble de pratiques et de stratégies éducatives afin, d’une part, de prévenir et de gérer efficacement les écarts de conduite des élèves et, d’autre part, de créer et de maintenir un environnement favorisant l’enseignement et l’apprentissage » (Bissonnette, Gauthier et Castonguay, 2016, p. 51). La gestion efficace des comportements comprend ainsi deux types d’intervention : les interventions préventives ou proactives et les interventions curatives ou correctives. Les interventions proactives visent essentiellement la création d’un milieu propice à l’enseignement, aux apprentissages et à la prévention des écarts de conduite des élèves. Les interventions préventives favorisent ainsi l’adoption des comportements souhaités tandis que les interventions curatives ou correctives sont à employer lorsque des élèves manifestent des écarts de conduite, et ce, pour faire cesser les comportements inadéquats.


Ainsi, je constate que la gestion des comportements doit logiquement être préventive, proactive et réactive. Il ne s'agit pas que de la gestion des comportements inappropriés; tous les comportements doivent être encadrés de façon à ce qu'ils ne perturbent pas la classe et s'aggravent.


Ce que disent les émotions ou les comportements négatifs des élèves


Mon expérience me porte à croire que chaque comportement est un message, énoncé de façon inadéquate. C'est une façon d'obtenir de l'attention pour répondre à un besoin, d'appeler à l'aide parce que l'élève ne sait pas faire autrement ou n'a pas l'espace pour le faire. En effet, le simple fait de saluer ses élèves, de prendre le temps de s'intéresser à leur vécu et d'interagir avec chacun d'entre eux régulièrement offre à l'élève un espace pour se sentir entendu. Dans un monde idéal, prendre 5 minutes au début de chaque cours pour entendre ce que les élèves ont à ventiler peut changer considérablement la suite du déroulement de l'enseignement. Se sentir écouter donne envie d'écouter par la suite. Ça va de soi.


Un comportement inadéquat peut signifier que l'élève n'est pas disponible, pour une multitude de raisons souvent complexes et emmêlées. Il peut s'agir d'une estime de soi ou d'un sentiment d'efficacité personnelle très faibles, d'un manque d'engagement ou de motivation lié à des problèmes personnels, relationnels ou familiaux. Il se peut que l'élève ne comprenne pas la tâche ou qu'elle soit trop difficile; l'élève fait donc le choix de se mettre lui-même en échec. Cela peut aussi se traduire par la recherche de l'attention des pairs, puisque l'élève est davantage valorisé par les éclats de rire ou les regards désapprobateurs qu'il suscite plutôt que par les mauvaises réponses qu'il donne à l'enseignant ou les notes médiocres qu'il reçoit invariablement. Éviter de perdre la face, ça permet de protéger une estime de soi fragile et précieuse.


D'autres comportements, plus provocateurs, laissent supposer un besoin différent, plus urgent. Il s'inscrit sans doute dans l'anamnèse de l'élève, en ce sens qu'il est sans doute vécu depuis un moment. Est-ce la façon la plus FACILE pour l'élève d'obtenir de l'attention? Est-ce la SEULE façon pour lui d'obtenir de l'attention parce qu'il n'a pas appris ou eu d'espace dans sa vie pour faire autrement? Pour trouver des solutions, il faudra nécessairement s'intéresser au vécu et aux besoins des élèves.



L'analyse écosystémique ou écologique d'un comportement


Il va de soi que l'élève doit faire des efforts pour s'autoréguler et choisir un comportement adéquat en classe. Qu'en est-il de l'enseignant(e)? Quand la classe ou un élève se désorganise, a-t-on une réflexion à faire sur notre préparation, notre disponibilité, notre organisation, notre attitude? Comment aurait-on pu prévenir la situation? Il est nécessaire de réfléchir à l'ensemble des facteurs qui ont accompagné la situation problématique pour arriver à trouver des solutions préventives :


- À quel moment ce comportement se produit-il? À quelle fréquence?

- Quelles sont les raisons qui sous-tendent l'apparition de ce comportement?

- Qu'est-ce que l'élève a tenté de nommer comme besoin?

- Est-ce le cas avec d'autres enseignants?



Prévention VS réaction - Établir un climat de classe positif et bienveillant pour éviter d'avoir à réagir


Selon Gauthier et Bissonnette (2000), les interventions préventives efficaces sont, par ordre d’importance, les suivantes :

  1. établir de bonnes relations avec les élèves;

  2. créer un environnement sécuritaire, ordonné, prévisible et positif;

  3. encadrer et superviser constamment les élèves;

  4. organiser la classe afin de maximiser le temps d’enseignement et d’apprentissage des élèves;

  5. enseigner de manière efficace afin de favoriser la réussite du plus grand nombre.


Quand on s'intéresse à l'attachement chez les élèves et à l'importance de la relation enseignant-élève positive dans la réussite de ceux-ci et la gestion des comportements, on comprend rapidement qu'établir un lien clair et sécurisant est l'investissement le plus probant pour établir une gestion de classe efficace. Pour faciliter cela, l'enseignant doit être à l'aise avec lui-même, avec les élèves et avec sa matière. De plus, parler de ses valeurs et les mettre de l'avant, aborder et nommer les habiletés sociales à développer dans un groupe, avoir une attitude positive (encourager, féliciter), rappeler ses attentes, s'intéresser réellement à ses élèves et parler des émotions sont, en rafale, des atouts pour établir un lien adéquat.


S'intéresser à ses élèves, ça ne veut pas dire de vouloir être leur ami(e) ou se faire aimer à tout prix. La relation est primordiale pour établir un lien de confiance et de respect. Écouter ce que l'autre a à dire est un signe de respect, d'empathie et d'intérêt qui aura plus tendance à être partagé que s'il n'est pas mis de l'avant. L'enseignant demeure un modèle. Son respect, son positivisme, son humour, ses interactions, ses encouragements, son empathie, son intérêt senti et réel sont tous des aspects que les élèves observent, jugent, copient, partagent. Une relation se construit des deux côtés. C'est important de se le rappeler.


Est-il possible que certains enseignants n'établissent pas clairement les limites? Par exemple, bien que le sens de l'humour soit un grand atout en gestion de classe, il peut arriver que des enseignants s'égarent et dépassent leurs propres limites. Quand les élèves répondent à cet humour par le même niveau d'humour, il se peut que l'enseignant se sente coincé, brusqué, nargué. Pourtant, l'élève tente simplement de créer un lien, bien que ce soit parfois fait maladroitement.


Si les limites et les attentes sont clairement établies, que les conséquences sont prévisibles et équitables, et que l'enseignant a déjà établi une relation positive avec l'élève, il sera plus facile pour ce dernier d'accepter et de comprendre la conséquence. Il sera plus en mesure d'apprendre de cette situation et sera motivé à faire de meilleurs choix.


Un élève motivé, engagé dans une tâche signifiante et intéressante, et qui se sent compétent et capable de réussir sera disposé à interagir adéquatement en classe. Un élève qui ne comprend pas l'objectif d'une tâche, qui ne s'engage pas volontairement parce qu'une tâche est trop facile, trop répétitive ou trop complexe pour ses capacités ne s'engagera pas. Il pourrait choisir de s'opposer passivement ou activement, mais d'une façon ou d'une autre, il ne fera pas la tâche demandée, ce qui pourrait lui valoir une conséquence subséquente.


Pour un groupe fragile, il est essentiel que la routine et l'organisation soient prévisibles. D'abord, le fait de faire participer les élèves à l'élaboration des règles de classe est particulièrement utile pour que chacun se sente concerné par le cadre. Des stratégies simples peuvent éviter plusieurs écarts : balayer régulièrement la classe du regard, occuper l'espace - pas seulement verbalement -, placer les élèves problématiques près de soi ou de façon à permettre une intervention rapide et discrète, sans conséquence pour l'élève, reprendre une situation et en discuter avec un élève, lui faire des demandes précises en réitérant ses attentes et lui donner un temps de réaction peuvent aussi éviter de s'engager dans une confrontation évitable.


Mais qu'en est-il des comportements problématiques, récurrents, violents ou dangereux? Certes, si l'élève déroge au code de vie de l'école de façon abusive et/ou qui compromet sa sécurité et celle des autres, il est impérial qu'il soit pris en charge. Dans ce cas, l'enseignant gagnera à demander l'aide de l'équipe des professionnels de l'école pour établir un plan de match pour déterminer les interventions à réaliser, souvent déjà prévues au code de vie. Cela ne relève plus, à mon avis, de la simple gestion de classe.



Punition et conséquence éducative


Une punition, c'est une réaction négative de l'adulte face à un comportement donné. L'élève apprendra à éviter la punition au lieu d'apprendre à faire un meilleur choix. Cette réaction entraine des effets émotifs chez l'élève et ne permet pas la résolution de problème. Elle est imprévisible et donc difficile à accepter pour un élève qui adopte des comportements problématiques en classe. Une conséquence éducative, quant à elle, s'appuie sur un désir de proactivité de la part de l'enseignant. Elle est réfléchie, logique et cohérente. L'élève apprendra à faire de meilleurs choix et lui permet de faire de la résolution de problème. La conséquence éducative offre à l'élève de se responsabiliser par rapport à ses actions. Elle est prévisible et n'affecte pas la dignité de l'élève (Bissonnette, Bouchard et St-Georges).


Comme la punition peut aussi découler d'une réaction émotionnelle de la part de l'enseignant - colère, impatience, surprise, atteinte de ses valeurs -, il faut s'assurer que la conséquence ne soit pas donnée sous le signe du chantage ou de la vengeance. Je sais, c'est délicat de l'insinuer. Mais est-il possible que la conséquence soit pour l'enseignant une façon de reprendre ou de démontrer son pouvoir? Une relation basée sur le pouvoir ne peut être positive, peu importe l'interprétation qu'on en fait. Les émotions vives amènent des jugements erronés et il arrive même qu'on prête des fausses intentions à la personne qui nous a mis dans cet état émotionnel. C'est comme ça dans nos relations humaines en général, alors pourquoi faire comme si ça n'existait dans le cadre de notre enseignement? Nous sommes des professionnel(le)s capables de réflexions et de prises de conscience riches et proactives, certes, mais nous sommes aussi dotés d'émotions qui parfois nous bousculent, mais qui nous permettent aussi de créer des liens avec les petits et plus grands humains auxquels nous enseignons.



En conclusion

Si un enfant ne sait pas lire, nous le lui enseignons. Si un enfant ne sait pas nager, nous le lui enseignons. Si un enfant ne sait pas compter, nous le lui enseignons. Si un enfant ne sait pas se comporter, nous enseignons ou punissons? (Tom Horner, 1998)

Longtemps - voire indéfiniment - , l'humain doit apprendre à s'adapter aux humains qu'il côtoie. Les groupes classes sont en mouvance, les enseignants sont changeants et chaque début d'année, les élèves et les enseignants doivent s'apprivoiser. Les habiletés sociales font partie des apprentissages que les élèves doivent réaliser durant leur scolarité. Il faut donc être conscient des possibilités d'écarts, des limites testées, des tentatives de farces ou de faire des liens inadéquats avec l'enseignant(e). La flexibilité, la tolérance et la bienveillance sont de mise pour permettre à l'élève d'apprendre à se comporter adéquatement. Ne pas oublier que les élèves ne sont PAS des adultes et que c'est à l'adulte de lui créer un espace pour lui faire acquérir une maturité affective qui lui permettra de faire de meilleurs choix. Cultivons le droit à l'erreur et soyons à l'aise d'échanger pour trouver des solutions plus adaptées!


 

Commission scolaire des Trois-Lacs (2016). Gestion des comportements - atelier d'insertion professionnelle.



Bissonnette, S., Bouchard, C., St-Georges, N. (inconnue). Le soutien au comportement positif - Groupe de recherche sur la Gestion Efficace des Comportements et des Apprentissages (GECA), Université du Québec en Outaouais.


Lessard, A, Schmidt, S. (2011) Recension des écrits sur la gestion de classe, Université de Sherbrooke.


Bissonnette, S., Gauthier, C. (inconnue). Pour une gestion efficace des comportements auprès des élèves en difficulté, Université Laval et Université TELUQ.


Bissonnette, S., Gauthier, C., & Castonguay, M. (2016). L’enseignement explicite des comportements. Pour une gestion efficace des élèves en classe et dans l'école. Montréal, Canada : Chenelière Éducation.

508 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page